Petit geste

C'est un geste que je n'avais jamais fait auparavant, mais qui pourtant s'est avéré parfaitement naturel.

Il y en a plusieurs, quand on y regarde de plus près, des petits rien comme celui-ci...

On n'y pense jamais, et quand on doit les faire, et bien, c'est parti... et voilà, c'est terminé.. Ce n'est qu'en y refléchissant de nouveau que l'on se rend compte qu'il s'est passé quelque chose : pendant l'exécution, la lente mécanique des mouvements des membres, l'expérience est acquise et l'on est transformé pour toujours. Pour certains, c'est gouter à la Première gorgée de bière, pour d'autres, tenir un talisman entre ses doigts et sentir les Racines du ciel. Tourner les pages d'un Petit Robert quand on a la Tête en Friche, ou jouer les si douloureuses trois premières notes de la mort d'Ase sur son trombone pendant un trop Long dimanche de fiançailles.

Je ne sais pas d'où vient cette formidable force qu'est l'instinc maternel. Par mimétisme ? Je suis, maintenant, tellement reconnaissante de ce que ma mère a fait de nous...

Je pense à tous les écueils qu'il faut surmonter. La mort subite, la noyade, les accidents de la route, les enlevements, les produits ménagers. J'en découvre chaque jour. Il n'y a, à mes yeux, rien de plus poignant que les faits divers. Quelques lignes, hop, c'est plié. Une femme de 26 ans est morte à Grenoble, tuée par la chute d'un arbre alors qu'elle était au square avec ses deux enfants. Un couple quinqagénaire dans un accident de voitures avec les deux bébés à l'arrière. Eux n'ont rien, si ce n'est plus de grands parents. Hop, plié. Au suivant. Tous ces gens terminent leurs vies dans les conditions les plus imprévisiblement horribles, et l'affaire est classée en quelques lignes sur du papier recyclable. Bien sûr, recyclable, des malheurs, il y en aura tout le temps. On peut espérer éviter que nos petits ne traversent la guerre telle que l'on souffert nos grands parents... encore faudra-t-il qu'il y ait sur la Terre assez d'eau et de nourritures pour que nos enfants survivent. Il faut que tu respires... Je me dis que mon fils a déjà connu plus de trois mois de bonheur pur (ok, il a pleuré pour les vaccins. Mais si ça peut lui éviter d'autres pleurs et d'autres souffrances, alors, je le console, je serre les dents... et il va déjà mieux, je respire). Que pour l'instant, il n'a même pas crié de toute la journée. A ce jour, je rends deux hommes heureux lorsque je suis auprès d'eux, et je fais en sorte que mes proches et mes amis trouvent auprès de moi l'écoute et l'épaule qu'ils recherchent.

Je vais revenir à mon préambule. A ce petit geste qui me bouleverse encore, sans que je n'en comprenne vraiment l'origine. Mon fils s'est endormi, petit loir, dans la nacelle de sa poussette alors que nous étions de sortie. Ce premier berceau ne lui sied plus guère, il est trop grand maintenant pour y passer la nuit. Nous sommes rentrés à pied sous l'orage, jonglant entre le parapluie et la capote, pour éviter que les piqures acides de l'averse lyonnaise ne griffent la peau fragile de notre nourrisson. Une fois à la maison, c'est là que j'ai eu à effectuer ce petit geste tellement naturel, mais tellement riche en non-dit de douceur et d'amour. Pour la première fois, j'ai glissé mes mains sous le petit corps endormi, veillant à ne pas bousculer la tête, j'ai soulevé la petite silhouette chaude avec une délicatesse inégalable, plaqué l'enfant contre ma poitrine, et, sans le réveiller, je l'ai déposé dans son nouveau lit. Si grand petit lit... Je tenais le monde, et invoquait l'univers entier pour qu'il reste, heureux, dans son paisible sommeil.

J'ai réussi. Le premier d'une longue série de petits transports, emprunts de tendresse, de précaution et de chaleur.

Je suis fière, angoissée, heureuse.

Je suis mère...