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From ME to who wants

Courtes nouvelles, états d'âmes, poésies, vie de maman, et quelques clins d'oeil. Tout est dans le texte :-)

Le troisième matin

Le troisième matin et ma foi dans l’humanité tout entière

 

C’est un matin d’école un peu particulier. Pas l’un de ceux que l’on enchaine lorsque l’automne a amorcé sa descente, lorsque l’on ne se rappelle même plus de la couleur du soleil ; bien avant ceux où il faut empiler les manteaux pour lutter contre la bise mal réveillée des premières lueurs.

C’est le matin d’école à la tonalité unique de la « troisième fois ». Pour les petites sections, il y a trois matins. Celui du grand saut, la Rentrée, la vraie. Puis la gifle du deuxième matin, la bascule. Ils ont passé le cap pour se rendre compte ensuite que ce n’est pas fini, l’école recommence, à nouveau ; une ligne indélébile a été franchie. Quand ils comprennent la musique, la rentrée avec tous ses bémols à la clé. Le troisième matin est celui de la résilience.

 

Pour moi c’est juste un matin de septembre de maternelle grande section ; l’affaire est déjà pliée lorsque, de l’autre côté du portail, je m’apprête à laisser mon fils à l’entrée de sa classe. Cette année, encore, les trois niveaux sont regroupés : huit petits, huit moyens, huit grands. C’est un peu plus de boulot pour les maitresses mais un vecteur d’interactions entre les enfants : les plus âgés rassurent et minaudent, les tous petits tentent de survivre à leur séparation du giron familial. Je ne prête guère attention à leurs pleurs de panique devant les autres classes. Nous arrivons devant notre porte parmi les premiers. Je connais la maitresse, Marlène T., depuis longtemps, et je l’apprécie grandement. Plus âgée que moi, la patine de l’expérience brille dans son regard. Ses gestes sont vifs, précis, elle est de cette trempe douce et efficace qui sait délimiter clairement les espaces d’apprentissages ; je suis ravie de savoir que c’est elle qui prendra soin de Maxence cette année.

 

Les enfants sont accueillis un à un par un joyeux bonjour décliné avec chaque prénom. Maxence, sagement, attend son tour à côté de moi ; devant nous passe une maman la main serrée sur le cœur – elle vient de laisser son petite section secoué de sanglots. Je le dévisage dans l'encadrement de la porte. Il doit avoir 3 ans et demi, les cheveux peignés sur l’arrière, un polo bleu foncé bien ajusté sur son short en jean. Un lapin – ou plutôt un ours ? non, un chien ? – une forme grisâtre pendouille, pressée par ses minuscules mains. Comme d’autres il pleure, pourtant, je ne reconnais pas ces sanglots. Ce n’est pas pareil. J’ai l’impression qu’il ne pleure pas le départ de sa mère, c’est plus fort que ça. Mes hormones de mère s’activent – alarme. Oui, c’est autre chose.

 

Madame T fléchit les genoux à la hauteur. Elle a posé une main sur son épaule. Avec l’autre, elle caresse ses menottes secouées par les spasmes. Lui, son nez dégouline, mais avec osbtination il baraguine quelque chose entre ses larmes, des syllabes mouillées que je distingue pas.

Voyant que rien ne se passe il redouble de pleurs, terrassé par une forme d’impuissance qui m’échappe.

- Qu’est-ce qu’il y a ? lui demande doucement Madame T, qu’est-ce que tu dis ?

- Maillais ! Toimaillais ! Toimaillais ?

C’est comme une supplique, il implore, il s’étrangle - il n’y arrive pas.

 

Alors, il réalise ce qu’il se passe. Tout va très vite. Il ne se fait pas comprendre. C’est le troisième jour. Le voilà tout seul avec ses angoisses, dans ce monde d’adultes tellement compliqué – il craque. La scène dure moins d’une minute mais devant ce gouffre, mes yeux s’embuent également. Son chagrin est tellement palpable – et grandir, c’est tellement difficile…

 

Maxence choisit cet instant pour couper court à son attente. Il entre dans la classe en lançant un tonitruant « bonjour », m’abandonnant à mes considérations vertigineuses. Madame T lui répond (Bonjour Maxence) puis se retourne vers le petit garçon en pleurs et répête pour lui :

- Maillais ?

 Je sais qu’elle fait tourner le mot dans sa tête. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Un doudou ? Un objet ?

- Maillais ! Toimaillais…

Il y a tellement d’espoir dans sa supplique. Même un peu de colère. Je sens qu’il y met vraiment tout ce qu’il a sur le cœur, ce petit bonhomme. Ce qui se joue pour lui à cet instant ressemble à une leçon de vie.

Alors il tente, une ultime fois, sur le ton du renoncement à venir, un « maillais » teinté de désespoir. Je devine tout à la fois l’amertume de sa défaite et la morsure de sa tristesse devant son impuissance.
 

Tout à coup Madame T s’illumine. Elle se tourne vers lui, sûre d’elle :

- Marlène ?

Ses yeux. Vous auriez dû voir ses yeux. Ils se sont allumés tellement fort que sa bouche a dû se plisser pour leur faire de la place. Il a reniflé, soufflé en même temps, toute sa tension a lâché et il s’est mis à irradier de bonheur.

- Oui, moi, je m’appelle Marlène. C’est très bien que tu te sois souvenu. Bravo, bonhomme. Tu peux aller poser tes affaires.

Il s’est essuyé sur sa manche, ou sur son doudou, puis, avec un dernier spasme, s’est dirigé vers son minuscule porte manteau.

Il avait réussi. Il jubilait.

Sûrement que pour son troisième jour d’école, ce petite section avait décidé de faire plaisir à la maitresse. Un cadeau bien unique, très personnel : lui montrer qu’il avait retenu son prénom. Lui prouver qu’il était un bon élève, qu’il avait bien écouté.

Mais il y avait le langage, il y avait la prononciation, il y avait ce R si difficile à articuler...

Alors, l'accumulation, ce troisième matin, affronter l’incompréhension, manquer l’effet de surprise, et passer à côté de ses projets…

 

Toutes ses épreuves qu’il a bien cru de pas pouvoir surmonter malgré ses préparatifs !

Heureusement, Marlène T a trouvé la clé et ouvert grand la porte de sa confiance en lui.

Témoin de ce combat, j’écopais d’un sourire bien humide.

Bravo, petit bonhomme ! Et merci, Madame T, de m’avoir redonné foi dans l’humanité.

J’ai croisé la Fierté ce matin.  Elle aura bientôt 4 ans.

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