LE soir

Ce soir, j’ai décidé : c’est LE soir.

Le printemps m’a mis du baume au cœur.

J’ai réfléchi. Beaucoup. Longtemps. Je me suis mis d’accord avec moi-même. J’ai pactisé avec mes vieux démons. J’ai acté ma décision : oui, je veux l’épouser. Elle est jolie, drôle, elle m’aime – rien ne m’indique que c’est un mauvais choix. Plus de coucherie : c’est fini le temps où je pratiquais la rumpologie chez les péripatéticiennes. Je suis un gars rangé, maintenant. Adieu, le cowboy à la cravache facile. On se mariera, je l’emmènerai faire du chien de traineau au pays des aurores boréales, on partira en vacances chevaucher des licornes – ou, à défaut, des dromadaires. On parcourra la route 66 dans une voiture de course avec un aileron. Avec des recharges en liquide de freins ! On gagnera des concours de pèches aux silures et aux poissons-chats. Il paraît qu’il y en a de deux mètres à deux têtes dans le Rhône. Mais je n’y crois pas, aux poissons-chats siamois – les coquecigrues, ça n’existe pas, on ne me l’a fait pas.

Je reviens à mon programme. Car oui, j’ai tout planifié. Lorsqu’elle reviendra du badminton, pendant qu’elle videra le cumulus sous la douche, je réchaufferai notre repas de fête, bougies allumées et bouquet de muguet. J’ai élaboré le menu à partir de ses mets préférés : verrines d’oursin à la roquette, carrés de chevreaux en ballottine et sa timbale de légumes, j’ai même trouvé une recette de gâteau de crêpes à réchauffer au micro-ondes. J’ai travaillé mon assaisonnement depuis plusieurs jours. Elaboré plusieurs mélanges : c’est le gâteau de La Demande, il se doit d’être mémorable (mais pratique à réaliser, je ne suis ni Crésus, ni Jean-François Piège, faut pas déconner). J’ai opté enfin pour un coulis de vanille et de yaourt aux poires, de chez Chambourcy – il paraît qu’on dit Yoplay, maintenant, je n'arrive pas à vieillir - le tout relevé d’un trait de Williamine. Au cœur du gâteau, sans pour autant qu'il ne tire vers l'enclume, j’ai caché un croustillant aux noisettes. Bien perpendiculaire, au sommet de la pile, une tuile aux amandes. Ça va détonner ! Et dès qu’elle terminera la dernière cuillère, je sortirai la bague du tiroir à couvert. J’en tremble déjà.

Notre soirée se déroule à merveille. Je pense qu’elle se doute : elle s’est parée pour passer à table d'une jolie tenue sexy, plutôt que son vieux pyjama, et a bouclé ses accroche-cœurs au fer. Je rougis, je pâlis, plusieurs flushes parcourent mon visage.

Après que je lui ai déposé le dessert tout juste réchauffé sur la table, alors que je me tourne pour poser la manique, je la vois goûter à la hâte mon délicieux coulis. Je pense à tout ce travail passé à préparer l’alchimie de cet instant. J’attends que ses yeux gourmands s’écarquillent – que son regard lui-même me crie le OUI que je veux entendre.

Rien de cela.

Elle goûte, mais ne sourcille pas. Puis enchaîne : « Oh, des crèpes. Chouette ! Je vais chercher du Nutella. Il n’y a que ça qui est bon, avec les crèpes, de toutes façons. ! »

Merci à tous pour

Crêpes, Flush, Oursin, Perpendiculaire, Siamois (pas le chat), Vacances, Poisson-chat, Licorne, Chevreaux, Cumulus (mais pas le nuage), Roquette, Voiture de course avec un aileron, Badminton, Péripatéticienne, Dromadaire, Rumpologie, Chien de traineau, Cowboy, Coucherie, Aurore boréale, Enclume, Coquecigrues, Micro-ondes, Muguet, Liquide de frein, Manique, Chambourcy, Accroche cœur.

Et pour le podium :

Perpendiculaire (j’ai cru que je ne m’en sortirai jamais), Enclume et Flush

Histoire inspirée notamment par Roquette et Badminton