Rémi et Lila

- Coucou. Désolée, je suis un peu en retard, je suis restée coincée dans le métro. Ça va ?

- Oui, bof, on fait aller. C’est sympa d’être venue. Assis-toi…

- Ah, donc, à ta tête, ça ne va pas. Je m’en doutais, en même temps. Qu’est ce qui t’arrive ?

Lila utilisa sa veste pour s’asseoir sur les marches, cherchant à s’isoler des pierres froides. Elle repositionna correctement son écharpe. L’automne s’installait doucement et la brise balayait les berges, bousculant les feuilles sèches dans le fleuve. Suffisamment habillé, c’était une saison sympathique, un peu rude, certes, mais déclinant une palette de couleurs et de lumières à faire pâlir le plat soleil d’été. Lila aimait bien l’automne. Quand Rémi l’avait appelée, elle avait tout de suite compris que son après midi détente allait être reporté. Ils avaient rendez-vous au meeting point habituel, et son rôle, comme toujours, serait de l’écouter et lui remonter le moral, bien sûr.

-       « C’est Sophie. Ça ne va pas. On n’arrive plus à se parler. Je bosse comme un fou, je suis pas souvent à la maison. Je pars tôt, je rentre tard, fatigué, et elle, elle me reproche de ne pas s’occuper d’elle.  Ça va pas aller en s’arrangeant, elle est pas fichue de le comprendre.  J’ai beau lui dire, que je fais ce que je peux, ma part du boulot, mais bon sang, elle est à mi-temps, c’est normal qu’elle fasse une plus grande partie des tâches ménagères que moi, non ?

-       En quoi penses-tu qu’elle ait tort de te faire des reproches ?

-       Si, si, elle a raison, je devrais plus décompresser. Elle est super, elle fait plein d’efforts, j’ai toujours un frigo plein et elle m’accueille avec le sourire… Mais bon le secret médical fait que je ne peux pas lui raconter mes journées, et ça, elle n’a pas le droit de me le reprocher !!

-       C’est vrai, mais à t’entendre, tu connais déjà la solution ?

-       Oui, oui, lui dire que je l’aime, qu’elle fait du mieux qu’elle peut, qu’elle doit s’accrocher encore parce que par définition mon boulot est prenant. La respecter davantage, lui montrer comme je suis fier et heureux avec elle.

-       Ben voilà, ça y est, ça va aller mieux ! Vous devez pas partir en voyage d’ailleurs ?

-       Si si, on part en Namibie trois semaines dans un mois. Ça va être fantastique…

-       Voilà, vous aurez l’occasion de vous retrouver à ce moment là. Je veux une carte postale, hein !

-       Ah, bien sûr !! Tu rigoles ! T’es tellement super ! Merci !! Y’a autre chose dont je voulais te parler aussi. Au boulot, j’ai un conflit avec une nana mais qu’est au dessous de moi. Comment tu gères ça, toi ?

-       Tu vas la voir, tu lui expliques tes impressions. Tu fais attention d’utiliser le « je », hein, pas de reproches ! Que des phrases du genre « j’ai l’impression que », « il me semble que », « pour moi »… Tu lui demandes si elle partage tes points de vue sur son comportement, et si c’est pas le cas (et bon, c’est sûrement pas le cas, hein, sinon vous ne seriez pas en conflit), tu lui demandes de t’expliquer, elle, pourquoi toi tu penses comme ça. A priori, ça devrait aider.

-       Ah, ok. Je vais faire ça.

-       C’est bien. Et ton rhume, ça va mieux ??

-       Arg, là encore, tu avais raison. Tu parles, c’est pas les médocs qui requinquent, je suis bien placé pour le savoir… Un grog et c’est fini ! Du rhum du citron et du miel dans de l’eau bouillante, au lit avec des chaussettes et c’est plié !! Lila, tu es fantastique ! Qu’est ce que je ferais sans toi !.

-       Sacré Rémi, va ! » sourit Lila.

Mais au fond d’elle même, les yeux glissant sur les vaguelettes du fleuve, la jeune femme pensait : sans moi, tu continuerais à te plaindre pour des éléments qui n’en valent pas la peine. Tu continuerais à ne pas faire attention aux autres, à mon emploi du temps modifié pour toi, à ma fatigue, au poids que j’ai perdu en si peu de temps. Ça ne changerait rien, tu n’irais pas non plus me demander comment je vais. Rien que ça. Sinon, tu saurais…

Lila aimait bien l’automne. Surtout celui-ci, qui, d’après ses derniers examens, risquait bien d’être le dernier qu’elle contemplait.