Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
From ME to who wants

Courtes nouvelles, états d'âmes, poésies, vie de maman, et quelques clins d'oeil. Tout est dans le texte :-)

Le masque

Trois heures du matin, dénonçait l'horloge numérique de son micro-onde. Et bien, elle était rentrée beaucoup plus tôt qu'à son habitude.
Trois heures, chez elle, seule: le dimanche s'annonçait morose.
Pourtant, elle n'avait lésiné sur rien. Elle s'était trouvée magnifique.

Elle déposa avec grande précaution ses talons aiguilles dans un angle de l'entrée, puis tangua jusqu'à la salle de bain. Non, salle de douche.
Marcher, déchaussée, l'esprit embrumé, première épreuve.
Dans ce studio veilliot, qu'elle louait pour trois sous, mais qui n'avait d'autre avantage que sa localisation - proche des bars, des boites, des métros, des paillettes - le seul miroir au dessus de la vasque penchait légérement sur la gauche. Elle ne lui accorda même pas une oeillade, et enleva ses lentilles pour ne plus s'y croiser. Deuxième épreuve.

D'un coup sec, elle dégagea sa perruque - ce soir, elle avait choisi blond à mèches roses. Sa chevelure naturelle oscillait entre brun et chatain foncé, et plusieurs fils blancs trahissaient déjà les passages successifs des anniversaires redoutés.

Rassurée par l'exigu espace, elle allégea ses lobes des larges anneaux clinquants dont ils étaient ornés.
Puis, les mains savemment tordues dans le dos, elle dégrapha son wonderbra - soufflant brièvement de soulagement lorsque ses masses molles reprirent leur position naturelle. Oh, elle retirerait le soutien-gorge intelligent plus tard, rien ne pressait, que de se rendre à la gravité. Cependant, le tomber de l'élastane rouge de son débardeur ne maintenait plus l'illusion.

Avant de s'armer de démaquillant et de patience, elle ôta, étape par étape, chacun de ses faux cils et son rouge à lèvres. Elle retira de son visage la poudre, le fard, les restes de fond de teint. Ce traitement pour la peau ne mériterait même pas une place dans les rayons d'une parapharmacie. Ses joues trahissaient ses excès, ses cernes ses mirages. Dans son flou, elle fit mine de s'y tromper. Elle pensa que son eczéma s'était réveillé quand elle avait changé de parfum.

Une hygiène plus qu'irréprochable, avait recommandé la dentiste en vissant son implant. Sinon, toutes ses dents seraient à changer - le message était passé. Le souvenir du metal de l'appareil - quinze, non vingt ans plus tôt - restait bien vif.

Faire sauter le bouton de la jupe, ensuite, correspondait au summun du paradoxe - comment se sentir brutalement libérée et coupable.
Elle fit glisser le tube noir sur ses bas opaques, des contentions force 2 pour galber les mollets, effet push-up de l'accorche marketing confirmé, si elle se fiait aux commentaires masculins qu'elle soulevait au bar. D'un coup de pied, elle en fit un tas qu'elle destinerait à la laverie plus tard. Là, il fallait dormir. Panne d'énergie. Elle rentrait sans trophée ce soir - il y avait plus jeune sur la piste, plus frais, plus insouciant, peut-être. La concurrence était en place.
La force de l'âge devenait sa plus grande faiblesse.


Elle ne voulait pas sentir longtemps les courants d'air sur sa peau nue - allez, au lit.
Mais avant de rabattre les couvertures sur son corps fatigué, parce qu'il fallait combattre le spectre des rides, des ridules, de la peau d'orange, des dartres, des ans - elle prit soin d'y appliquer une épaisse couche de masque.




Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article