Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
From ME to who wants

Courtes nouvelles, états d'âmes, poésies, vie de maman, et quelques clins d'oeil. Tout est dans le texte :-)

De retour

Juste un soupçon d’hésitation, puis il enclenche le clignotant. Vingt printemps, autant d’automnes: la cité de son passé en avait éprouvé, des saisons, depuis son départ. Et lui, entre le coeur de ses 10 ans et les heures trentenaires, qui était-il devenu, finalement ? Il ne se serait pas décrit changé; moins naïf, certainement, moins confiant dans un quelconque avenir. Toujours un peu rêveur, toujours un peu nostalgique - un brin poète, sans doute. Ce changement de cap est un semi coup de tête, mais le détour n’est pas bien long – bientôt, arpenter de nouveau les traces de sa jeunesse, relire, avec ses yeux d’adultes, les courbes de son enfance.

 

Il se gare place de l’Eglise, mais le parking n’est plus au pied du monument classé: une petite place, piétonne, y ronronne maintenant – charmante, au demeurant. Il se trouve non loin de la devanture de la librairie. Le rideau est fermé. Sur une pancarte de carton beige, un bref commentaire annonce la mort du propriétaire et la mise en vente du bail commercial. Il y a toujours, aux angles du carrefour, un café, une banque - mais il n’y a plus le magasin de bonbons.

 

Il flâne. Les distances sont plus courtes avec des jambes d’adultes. Il se retrouve assez vite sur le chemin des écoliers – voilà, deux rues de plus et c’est là qu’il y a l'école. Enfin, ce qu’il en reste – les platanes de la cour se prélassent toujours, mais le bâtiment n’accueille plus d’enfants depuis des lustres – c’est une salle d’exposition temporaire, maintenant. Dans l'encadrement d'une fenêtre en chêne, au niveau de l'ancienne maternelle, il aperçoit quelques porte-savons surplombant de tous petits lavabos. Un éclat jaune l'interpelle sur l’un d’entre eux, pâle soleil – sa mémoire esquisse un souvenir – il a 4, 5 ans peut-être, et ses mains dégoulinent de peinture sous l’eau glacée d'un minuscule robinet.

 

Aucun enfant de ce nouveau siècle ne s’attardera, inutile spectacle, au lent délitement d’une encre bleue dont les volutes s’effacent en dansant dans l’eau froide. Il songe, un brin nostalgique, aux enfants de la fibre - n'ont-ils jamais vu l’éléphant, le profil, le monstre d’un nuage ? La course de leurs ombres ondulant dans un pré ? Les enfants de la 4G connaissant-ils d’autres fenêtres que celles à l’horizon borné de leurs écrans tactiles… ?

 

Il reprend sa marche, dévérouille dans sa tête les sentiers de la foire, lent pèlerinage, les manèges étaient par là, il se rappelle - son cœur est un peu lourd. Il ne prête aucun intérêt à la douceur des lumières d’Octobre. Son ombre rousse s’étire sur les pavés de sa mémoire.

Ses pieds naturellement remontent le trajet qu'il empruntait deux fois par jour, de l’école jusqu’au pavillon de sa nourrice. Il reconnait le nom de la rue, pourtant, rien dans les environs ne lui est familier – les villas, où sont-elles ? Ne se dressent plus que de récents immeubles, quatre étages, ascenseur, tout confort. Tout le quartier est transformé.

C’est établi, les images qu’il pensait remuer n’ont plus ici d’ancrages, leur essence ne réside plus que dans ses propres projections. Sa gorge se serre à la vue du Magnolia : juste après, passé le virage, devrait se trouver la maison de Nounou. L’arbre aux fleurs immenses, majestueux, pose toujours, digne et fidèle – mais plus rien ne demeure, en retrait, de la belle bâtisse à colombages dont il ornait l’entrée. D’ailleurs, l'arbre n’accueille même plus de balançoire. Les enfants génération 2015 savent-ils seulement comment se balancer… ? L’ivresse suspendue, l’énergie potentielle à son acmé, l’instant d’avant le vertige aux vents de la vitesse ? Et s’il n’y a plus de balançoire, s’il n’y a plus de maison à colombage, sera-t-elle encore là, y’aura-t-il encore âmes qui vivent, dans la maisonnette du numéro 23 ?

 

Bien sûr, n’ayant anticipé sa visite, il ne peut pas le savoir : en vingt ans, le village a grandi lui aussi. L’accès facilité par la nouvelle ligne grande vitesse, la création du centre médical, quelques kilomètres en aval, et les emplois associés – peu de régions en France pourraient autant se targuer d’un tel développement en ce contexte morose. Mais lui ne se confronte qu’à ces façades inconnues, vides de sens, ces insultes vives à son impromptue quête d’absolu.

 

Quelques enjambées de plus, et devant lui, la simple réalité – la maisonnette de sa nourrice a été rasée. Comme tout le quartier, en fait, découvre-t-il alors – c’est à cet emplacement que se tient le nouvel ensemble scolaire, le gymnase, la piscine. Mais qu’est devenu son village ? Autrefois, une vache par habitant, aujourd’hui, une piscine ?

 

Il lui faut un remontant. Un remontant pour ne plus remonter dans le temps, quand celui-ci s’entêtait à n’aller que de l’avant. Courant, fuyant presque, il est rapidement de retour sur la place principale. Trop remué pour partir sur le champ, il choisit de s’écrouler sur l’une des chaises branlantes du café - bastion miteux des vestiges de l’époque révolue dont se confirmait la disparition éternelle.

« Un verre d’une boisson pour les grands, s’il vous plait. Mais un petit : je conduis ».

 

Dans la trajectoire de son regard, il note que la tournure de sa commande fait sourire sa voisine d’infortune. C'est une femme brune, sa tasse tintinabulle - une cuillère tourne dans son café froid. Il ne voit même pas comme elle est jolie, mais lui adresse un « sourire à l’envers », sa mimique incontrôlée lorsqu’il est dépassé.

 

C’est elle qui entame la conversation.

- Vous n’avez pas l’air d’aller. Vous semblez à côté de vous-même.

C’était tout à fait vrai.

- C’est tout à fait vrai, répond-il alors.

- Il y a des moments où l’on se pose ici juste pour se retrouver. C’est notre point commun, aujourd’hui.

- Si vous le dites.

- Moi aussi, je n’ai pas eu une journée facile. Ce sont les aléas de l’hôpital.

- L’hôpital ?

- Oui, l’hôpital – j’y travaille, alors parfois, je viens ici me changer les idées. C'est pour ça, la cuillère – la valse de la mousse, cela me détend.

- Je ne savais pas qu’il y avait un hôpital.

- Cela va faire 5 ans maintenant. Vous n’êtes pas d’ici ?

- Je ne suis plus d’ici.

- Ah. Sûre, le paysage change. Tout se développe.

- Les négatifs se développent. Il n’en reste qu’une impression.

- Vous êtes un bien nostalgique poète.

- C’est qu’il ne reste plus que moi... plus rien d'autres... que ma mémoire…

- C’est toujours ça !

- C’est vrai, sans doute. Mais je ne suis pas d’humeur, je crois.

- Il n’y a pas d’heure pour être d’humeur à aller de l'avant.

Et sur ce, elle regarde sa montre.

- Ecoutez, reprend-elle. Vous êtes mignon et triste, je suis célibataire et obligée d’y retourner. Alors, on deal: je vous laisse mon numéro. Appelez-moi quand vous allez mieux. Si vous revenez dans le coin. On ne sait jamais. A bientôt, peut-être ?

 

Que c’était rude comme approche ! Mais pour qui se prenait-elle ? Qui était-elle pour le provoquer ainsi ?

 

Bien sûr, il ne peut anticiper l’avenir, il ne peut pas le savoir. Lui a créé des souvenirs dans une maison rasée. Ses fils les construiront au même endroit, mais dans une cour de primaire.

Lui qui s'est retrouvé au café pour penser au passé, l'y a trouvée, Elle, pour tout recommencer.

 

Merci à JMDV pour l'idée :-)
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article