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From ME to who wants

Courtes nouvelles, états d'âmes, poésies, vie de maman, et quelques clins d'oeil. Tout est dans le texte :-)

C'est ainsi que les ans se passent

Ses mains.

Ou ses yeux ?

Son regard.

Ses mains ?

 

Si, ses mains sur mon genou. Professionnelles jusqu’au bout des massages, aucun message dissimulé ici. Puis ses yeux dans les miens. Incandescents. Indécents, aussi, sans doute. Si sous-entendus il devait y avoir, c’est sur les sourires de nos lèvres qu’il se localisaient. Les séances, de supplices attendus, étaient devenues suppliques. Il me fallait le voir. Il fallait qu’il me regarde. Je voulais qu’il me touche. Au fil des semaines, je sentais son vouvoiement chavirer.

 

Depuis cette bête chute, il était devenu mon repère. Si mon croisé avait lâché à ski dans un soleil, ce seul jour où je m’étais accordée une pause, lui était devenu l’horizon que j’avais perdu lors de mon accident. Il me faut reconnaître, peut-être, que mon terrain mental était fertile à l’évasion. Manque de pot, vicissitudes du sort, ma vie de couple s’était réduite à peau de chagrin. De mon mari, je ne devinais plus qu’un creux tiède dans le lit le matin, des portières claquées à des heures impossibles, des week-ends à l’attendre dans une maison vide. Seul mon fils, pardon, notre fils, son portrait, par ailleurs, tissait un lien ténu entre nos deux existences devenues parallèles.

 

Alors l’accident avait ouvert la voie vers un autre avenir. Comme le veut l’usage des praticiens de santé, nous avons attendu la fin de mes séances pour nous revoir, en dehors du cabinet, dans une nouvelle forme d’intimité beaucoup moins relative. Je suis sûre d’avoir vu ses yeux étincelés lorsque j’avais ostensiblement laissé mon numéro de portable au dos du dernier chèque. La perspective de passer du temps avec quelqu’un qui m’écouterait et me considérerait m’apparaissait comme un cadeau, un évènement d’une incommensurable ampleur. Enfin, je redevenais Femme, je n’étais plus réduite à génitrice d’un enfant dont s’effaçait déjà la magie de l’innocence.

 

Mais où s’arrête la magie quand la routine s’installe ? Nos rendez-vous dissimulés, hebdomadaires, au départ vifs éclats d’oxygène, sont devenus pour lui peu à peu des impératifs. La difficulté à concilier nos deux emplois du temps, jongler entre l’école, les boulots, la maison ou les vacances relevait de la communication satellite lors d’éruptions solaires. L’essoufflement de notre histoire s’est imposé de lui-même au bout de quelques mois. Le fruit de notre passion avait pourri sur l’arbre généalogique dont j’étais l'origine : il n’y avait aucun futur envisageable, il me voulait, me prenait Indépendante, mais j’étais Mère. Je récupérais des degrés de flexion, des mètres de marche autonome, je posais progressivement mes béquilles, mais c’est une plaie béante qui dévorait mon corps, le juste vide d’un impossible amour comme seuls savent vivre les adolescents. Savent, car peuvent, pour nous, parents, il est trop tard. Et c'est ainsi que les ans se passent.

 

Et maintenant ? Maintenant, si j’ai retrouvé mes jambes, je continue à boiter du cœur.

 

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