Les écouteurs

Mes rendez-vous quotidiens prennent place sur des sièges vieillots, aux couleurs délavées, dans le brouhaha obscur d’une enfilade de wagons. C’est même plusieurs fois par jours que je côtoie mes contemporains, dans le métro, séant à leurs côtés. Et me laissant vagabonder, je me demande… Pour tous ces gens, ces humains, quels rêves, quelles échéances, quels espoirs ? Combien d’entre eux sont en deuil, ont perdu un proche ou leurs grandes amours, lesquels portent un secret ? Mentent-ils ? Connaissons-nous quelqu’un en commun, et si oui, qui donc ? Quels sont les aspects de leur personnalité qu’ils souhaiteraient cacher ? Cette route, où les mène-t-elle ? Rentrent-ils chez eux, et même, leurs chez eux, à quoi ressemblent-t-ils ? Partent-ils au travail, prennent-ils ce chemin pour la première fois ? Ont-ils trouvé ce qu'ils cherchent ? Je décrypte leurs vêtements, à ces voisins de fortune, en créant un monde à la mesure de ceux qui les portent. Les formes fluides, les inélégances, les masques. Ainsi parés, à quoi pensent-ils, pris indépendamment, tous ces individus ? Entendent-ils de la musique derrière leur mutisme poli ? Et ma tête bourdonne, comme si tout à coup, l’âme de n’importe qui était sur écouteur

Alors j’arrive. Et jamais ne me demande, à peine sortie des entrailles de la terre, le devenir de ces dizaines de visages, aussitôt oubliés.Wien - 2010